Recto avait fermé les yeux. Une goutte de sueur tomba de son front dégarni et s’écrasa sur les tomettes qui divisaient le sol en losanges rouges. Elle s’évapora aussitôt.Il faisait chaud à Little Italy ce soir. Les yeux plissés par la canicule, abattu et écrasé dans son fauteuil aux ressorts tordus, ekul@ykcul observait avec attention RecTo attablé dans son restaurant.
Ekul@ykcul s’intéressa à la prochaine goutte, en formation sur le haut du crâne de Recto. Elle était encore minuscule, un confetti, une île perdue dans un océan de chair.
Mais si on la fixait avec attention, on s’apercevait qu’elle grossissait peu à peu, enrichie par de microscopiques affluents. En quelques minutes, la gouttelette devint perle, puis loupe, ronde, gironde. Eclairée par les rayons du soleil, pleine de transparences déformantes. A travers l’œil liquide, on distinguait quelques pores sur la cuticule épaisse de Recto, des milliers de poumons humides, avides, noyés dans la sueur. Bientôt, le poids en eau fut critique. La pesanteur écrasa la sphère, l’allongea, l’étira et elle commença à glisser comme une limace translucide sur le front du membre de la KL. L’angle de chute était vertigineux. La goutte dévala sur quelques centimètres, mais une ride fit office de barrage. Le liquide salé se déversa tout entier dans la faille, formant un lac éphémère et vertical.
Des secondes passèrent, en essaim compact. Les hommes de main de ekul@ykcul ne cillaient plus, la salle du restaurant s'était remplie. Tous étaient immobiles et silencieux.
Soudain, une autre gouttelette, plus minuscule encore, vint s’agglomérer sur le front de Recto, glissa sur le même chemin, dévala la pente et s’écrasa dans le même lac. A l’échelle d’une larme, ce fut un séisme, une catastrophe, un tsunami lilliputien dont les historiens quantiques parleront encore longtemps. Le lac déborda dans un bruit d’allumette. Submergée, la ride libéra une vague minuscule, laquelle sauta au-dessus de trois autres plis, inonda deux cicatrices héritées d’une vieille varicelle, avant de s’enfoncer dans le buisson noir d’un sourcil. ekul@ykcul perdait la trace de sa bille d’eau...
Il attendit cinq interminables minutes avant qu’elle ne traverse le labyrinthe des poils et ne réapparaisse en filant sur les paupières éteintes de RecTo. La goutte glissa sur ses cils, dessina un triste rêve sur ses yeux clos, mouilla ses pommettes saillantes, puis fonça jusqu’au bout du menton. L'auditoire fixait la larme qui s’apprêtait à tomber. La stalactite tremblante hésitait. Elle n’osait pas sauter. A cet instant, l’un des mercenaires d’ekul@ykcul rentra dans la salle bondée à son tour, intrigué par le vacarme de petits ricanements, qui retentissait de la salle de conférence! Recto entendit le sifflement et sortit de ses songes. Il ouvrit les yeux et le mouvement imperceptible de ses paupières détacha la gouttelette du menton. L'assemblée la vit chuter au ralenti. Elle se déforma comme une bouche qui pousse un cri puis s’écrasa sur les tommettes et se vaporisa instantanément.
Il faisait très chaud. RecTo sortit de ta torpeur, essuya le filet de bave de son menton, et dégaina son arme, se racla le fond de la gorge pour éviter un trémolo embarrassant et commença à comprendre que son repas serait le dernier. Que son voyage, ici au milieu des belligérants seraient sans retour.La tête haute, le regard fier, RecTo entama son dernier chant. Une symphonie comme dernier rappel, le morceau le plus délicat. Il faut savoir laisser à sa famille aux lèvres un gout fruité. Ne pas finir sur une fausse note. Leur laisser un héritage.
Mes mains glissent sur mon arme comme elles glisseraient sur le corps d’une femme. La belle n’est qu’un mirage et les secondes s’évaporent, le temps semble figé et la fin est proche. Il n’y aura pour moi, plus de matin de détresse.
Tel un instant Kodak, la scène se tourne au ralenti. Long le voyage des balles fusantes, sur cette route qui a de mirage en déroute, finissent toutes dans le corps de l’artiste. ekul@ykcul était trop fort.
RecTo s’allonge sur la tomette aux lèvres des traces rouges et douces.
La musique s’arrête, la fin est brutale. Les paupières se ferment, et le silence se fit.
Classement avant :
3 ekul@ykcul 24.616 97.189 2.628.964 2.750.769 33 MS13
6 RecTo 25.326 89.200 2.531.300 2.645.730 31 K.L
Classement après :